• Du 28 mai au 16 juillet 1944

    Notre vie se partageait entre Nantes et Orvault. Des réfugiés nantais nous avaient demandé à disposer du jardin pendant les alertes où ils avaient construits une sorte d'abri contre les éclats de la D.C.A  qui tombait dru et, sans doute aussi en cas de bombardement... J'ai trouvé dans la terre des balles avec des douilles, et sur le sol un casque anglais percé d'un trou de balle. Il y avaient des résistants à Orvault et notamment en bas du Bourg, chez les Jouy-Leduc... 

    Le 28 mai : beau dimanche de Pentecôte où le feu est apparu en pleine nuit, sous la formes de fusées suspendues à des parachutes descendant lentement sur la ville, illuminant la cathédrale. Des projecteurs se croisant dans le ciel à la recherche d'une cible et les tracés lumineux de la D.C.A ... un équipier, Villeneuve, est arrivé en retard et tout essouflé, dit, qu'il tombait sur la ville des "nuées de parachutistes"! ... Je faisais la navette entre le Poste de Commandement et notre cave où De Charette, des Equipes Nationales, me demandait "ça va chef ?"; ce même de Charette devait, plus tard apposer le tampon F.F.I sur nos laissez-passer antérieurs à la Libération et déjà tamponné par l'occupant.

    La Moutonnerie - Le Services des eaux : Les bassins filtrants du Service des Eaux et la prise d'eau sur la Loire ont reçus les bombes (1) .../... le spectacle des corps enchevêtrés, comme vissés sur eux-mêmes, entièrement déshabillés mais couverts de poussières mêlées de sanie, plus épaisses là où la peau est poilue .../... le brancardier Dupont m'aide à dégager chacun des corps que nous sentons encore chauds dans nos mains nues. L'identification se fera sur place et les cadavres seront emportés vers la place du Ralliement, là où se font les mises en bière... nous rejoignons l'équipe de Mme Chevalier " l'équipe des morts ", qui, de semaines en semaines, sans relâche, recherchait les corps... Nous partons à la recherche des débris humains dispersés sur une grande surface... la toile et la corde des parachutes récupérés sur les toits étaient d'exellentes qualité; mais c'était théoriquement défendu ...

    Le 7 juin : Ouf! - Enfin! toutes les équipes sont sauves .../... nouvelle organisation de sortie des Equipes Croix-Rouge du secteur centre; il n'y aurait plus de sorties en masse. Trop dangereux. On parlera de groupe, avec la présence d'un brancard, deux brancards, tels brancardiers, secouristes et infirmières nommément désignés...

    Le 8 juin, ma femme écrit et fait allusion aux bombardements de la veille : le pont de la Vendée est coupée et Saint-Sébastien très touché. Ce matin, autres bombardements sur la gare de l'Etat et boulevard Victor-Hugo. Cela chauffe donc dur!

    Le 15 juin, elle écrit : nous venons d'être bombardés - Ce matin les bombes sont tombés place de l'Ecluse - La sacristrie de la Cathédrale est écrasée avec le pauvre curé de Saint-Pierre dessous - La chapelle de la Retraite et la maison des Ports (Portzampart, rue du Roi Albert est en feu et en ruines) - Elle annonce la mort de Mr Cornulier-Lucinière, rue d'Aguessau et elle termine par " pas d'objectifs atteints, le pont de Pirmil est toujours debout ". Mes notes du 15 juin, font état notamment de ma sortie avec deux brancards en reconnaissance dans le quartier Saint-Pierre, la Retraite et quai Malakoff; je me souviens à Rosmadeuc, de la  voix de Drouet perché sur le toit des Chambelles pour prévenir des avions, qui avec son téléphone, disant : "attention! je me retourne c'est pour vous! Et nous avons senti le sol et les murs osciller. Après, le 23 juin c'était le bombardement de la gare du Grand Blottereau.

    Le 16 juillet fut la date du bombardement sur Pirmil; Marie-Antoinette dans sa lettre du 25 juillet, a écrit : cette semaine, nous avons eu un bombardement du coté de Pirmil, le quartier Saint-Jacques a été assez touché - Deux avions Anglais sont tombés en flammes dans les parages du pont de la Mornière - Cette nuit, nous avons eu de très gros passages d'avions - Dans la nuit précédente Donges à recu 200 bombes. Vous avez dû entendre les bombardements. Nous avons entendu et senti la terre frémir! - Dans sa lettre du 27 juillet, elle relate l'arrestation par les Allemands de Mr Abel Durand, Président du Secours National à Nantes, (heureusement son train n'a pu parvenir à sa destination).

    Mr Caillaud avait fait état de 7 bombardements en juin et 10 en juillet, sur la ville et sur les gares.

    Sans date : les Allemands vidaient les camps et les prisons. Je retrouve la trace du passage de trois convois à destination de l'Allemagne. Une note de ma femme mentionne le passage du convoi de déportés politiques, avec parmi-eux la présence du Général Audibert. Sur ce sujet, je renvoie à ce que mentionne l'ouvrage de Mr Caillaud " Nantes sous les bombardements ".

    Les troupes allemandes en retraite cherchaient à s'emparer de moyens de transports et les véhicules de la Défense Passive excitaient leur convoitise. Ce qui étaient grave, c'est que les policiers allemands ont arrêtés de jeunes équipiers de la D.P et de la C.R, et ils les avaient fait conduire au centre de regroupement installé rue de Gigand, dans la propriété de l'Externat des Enfants Nantais... Première étape avant leur transport en Allemagne.

    Le responsable de ce camp était un Français, que j'avais rencontré en présence de mon cousin Michel Champenois .../... nous y avions tous reçu des faux papiers et sans doute le responsable de ce camp n'était-il pas innocent dans certaines évasions. Le jeune Pichelin, ainsi conduit rue de Gigand, qui avait reçu la visite et les conseils de Jacques Vincent et moi-même, s'était évadé.

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    A tous ces signes, nous sentions venir notre délivrance, mais combien longues allaient être les semaines du mois d'août. 

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